- NOBEL (FONDATION)
- NOBEL (FONDATION)NOBEL FONDATILa publication du testament d’Alfred Nobel (1833-1896) le 2 janvier 1897 provoqua en Suède bien des remous, aussi bien politiques que juridiques; elle suscita même un début de panique financière, notamment parmi les actionnaires de la Société des pétroles de Bakou, créée par les frères Nobel, installés à Saint-Pétersbourg avec leur père depuis le milieu du siècle précédent. Nobel, qui était à la tête d’une fortune considérable, ne laissait à sa mort aucun successeur direct. Ses rapports avec ses frères avaient été rarement bons: il les considérait comme aventuristes en matière d’investissements, ayant lui-même préféré asseoir sa fortune sur un monopole, la dynamite, plutôt que sur des produits soumis à une forte concurrence. Ses recherches sur la dynamite, à partir des travaux de l’Italien Sobrero, se révélèrent fructueuses puisque à sa mort ses cent usines produisaient dans le monde entier 65 000 tonnes par an, alors qu’en 1867, ses trois premières usines produisaient seulement 11 tonnes. Cette production était strictement calculée en fonction d’un marché totalement contrôlé par Nobel lui-même. Par contre, les Pétroles de Bakou nécessitaient une infrastructure à ses yeux trop compliquée et peu rentable. La Volga, utilisée par les bateaux-citernes de ses frères, est, écrivait-il, «une affaire qui, sept mois sur douze, ne fait que manger et ne rapporte rien».De plus, Nobel était ennemi de la transmission des fortunes par héritage: «Elles vont trop souvent à des incapables et n’apportent que des calamités par la tendance à l’oisiveté qu’elles engendrent chez les héritiers.»Aussi son testament, très sommaire, stipulait-il: «La totalité de mes biens réalisables devra être utilisée de la façon suivante: le capital sera investi par mes exécuteurs testamentaires en placements de toute sécurité et constituera un fonds dont l’intérêt devra être annuellement distribué, sous forme de prix, à ceux qui, pendant l’année précédente, auront apporté les plus grands bienfaits à l’humanité. Cet intérêt sera divisé en cinq parts égales qui seront distribuées de la façon suivante: une part à qui aura fait la découverte ou l’invention la plus importante dans le domaine de la physique; une à qui aura fait la découverte ou le progrès le plus remarquable en chimie; une à qui aura fait la découverte la plus importante dans le domaine de la physiologie ou de la médecine; une à qui aura produit dans le domaine littéraire l’œuvre la plus remarquable d’une tendance idéaliste; et une part à celui qui aura agi le plus ou le mieux pour la fraternisation des peuples, l’abolition ou la réduction des armées permanentes ainsi que pour la formation et la diffusion de congrès de la paix. Les prix de physique et de chimie seront décernés par l’Académie suédoise des sciences, celui de physiologie ou de médecine par l’Institut Carolina de Stockholm; pour la littérature, par l’Académie de Stockholm et pour les champions de la paix par une commission de cinq personnes élues par le Parlement norvégien. C’est ma volonté la plus expresse qu’il ne soit fait, dans l’attribution des prix, aucune considération de nationalité quelle qu’elle soit, et que le plus digne reçoive le prix, qu’il soit ou non scandinave.»Les exécuteurs testamentaires eurent donc à surmonter autant de difficultés qu’il y avait de phrases dans ce testament. Il s’agissait d’abord de rassembler le capital, dispersé dans plusieurs pays, d’un homme qui avait très peu vécu en Suède même et il fallut qu’un tribunal établisse, un an après sa mort, que Nobel avait été domicilié en Suède (ayant longtemps vécu en France, il était mort en Italie). Il fallait ensuite trouver les formes concrètes d’application des dernières volontés, exprimées en termes fort vagues, de Nobel.Ce testament devait allonger, à titre posthume, la liste de ses ennemis: outre ses frères, qui voulaient s’approprier le capital, et le fisc français, la bourgeoisie suédoise se déchaîna, par voie de presse, contre l’«antipatriote» Nobel, accusé de cosmopolitisme, de pacifisme, de séparatisme. La tâche assignée au Storting (Parlement) norvégien était enfin considérée comme une atteinte à la domination suédoise sur la Norvège, l’Union personnelle entre les deux pays ne devant prendre fin qu’en 1905. Seule une intervention du gouvernement, du roi et du Parlement suédois permit d’apaiser le scandale et de calmer les opposants au projet de fondation au sein des instituts concernés par le testament. En septembre 1898, le gouvernement ratifia les accords conclus par ces instituts pour participer aux tâches de la fondation, mais c’est seulement en 1901 que les cinq prix furent distribués pour la première fois: les seules critiques vinrent alors de la gauche littéraire, qui protesta publiquement contre l’attribution à Sully Prudhomme du prix de littérature, qu’elle aurait voulu voir attribuer à Zola.Le caractère officiel de la fondation est symbolisé par la présence des monarques suédois lors des remises de prix. En 1968 la liste des prix a été complétée par la création d’un sixième prix, celui de science économique, dont les premiers lauréats devaient être le Néerlandais Jan Tinbergen et le Norvégien Ragnar Frisch; la somme affectée à ce prix est fournie par la Banque royale de Suède et les lauréats sont choisis par l’Académie des sciences. D’ailleurs, c’est aussi le gouvernement qui désigne le président et le vice-président du conseil d’administration de la fondation, dont les autres membres sont élus par les instituts. Parmi les personnalités désignées figurent des scientifiques et des littéraires, mais également des représentants des grands groupes financiers.Le capital dont la rente alimente depuis 1901 les cinq prix attribués par la fondation Nobel était en 1898 de 33 millions de couronnes-or. C’est en 1946 que la fondation fut exemptée de taxes. Très peu dynamique et active, au contraire des fondations américaines, la fondation Nobel est aujourd’hui une vieille dame, dont on parle surtout lors des remises de prix le 10 décembre de chaque année, jour anniversaire de la mort d’Alfred Nobel. Elle n’est pas pour autant à l’abri des «scandales» que constitue le refus exprimé par certains lauréats de recevoir leur prix: les uns de leur plein gré (Jean-Paul Sartre, prix de littérature en 1964; Lê Duc Tho, prix de la paix en 1973), d’autre sous la contrainte de leur gouvernement (Boris Pasternak, prix de littérature en 1958).
Encyclopédie Universelle. 2012.